Les blessures susceptibles d’affecter les tubercules peuvent être classées en 4 catégories principales en fonction notamment du niveau d’endommagement de l’épiderme et des couches cellulaires sous-jacentes :
Quel que soit leur type, les blessures observées sur le tubercule sont généralement liées à un impact, parfois un simple frottement ou une pression, reçu par celui-ci lors des opérations de récolte ou de manutention (mise en tas, reprise, conditionnement, etc.) ou pendant la période de conservation. L’énergie et l’angle d’impact, sa direction, le niveau de subérisation de l’épiderme et les caractéristiques physico-chimiques du tubercule (teneur en matière sèche et en tyrosine, turgescence des cellules, propriétés des parois cellulaires, etc.) aboutissent à l’expression de l’un ou l’autre des symptômes décrits dans ce chapitre.
Symptômes sur tubercule
Le noircissement interne se caractérise par des taches sous-épidermiques de couleur gris bleuté (taches cendrées) d’un diamètre variable qui peuvent évoluer en profondeur dans la chair des tubercules et devenir noires dans les cas les plus graves (photos 1 et 2). Les symptômes apparaissent principalement du côté du talon. Pour que le noircissement interne se développe, il faut simultanément que les tubercules y soient sensibles et qu’ils aient reçu un choc ou qu’ils soient soumis à une pression.
Cette coloration indésirable provient de la formation de pigments par oxydation enzymatique du principal composé phénolique de la pomme de terre, la tyrosine, au niveau des tissus lésés (endommagement des membranes cellulaires).
Il existe une différence fondamentale entre le noircissement interne et les autres types d’endommagements. Tandis que les éclatements, les écrasements, les fissures résultent d’une rupture massive des parois cellulaires, souvent lors d’impacts de forte intensité, le noircissement interne peut se développer à la suite de chocs d’énergie parfois très faible mais suffisante pour provoquer des lésions membranaires. La réaction peut même être observée, après conservation, uniquement due à des pressions sur les tubercules situés à la base d’un tas vrac si la déshydratation des tubercules est importante. Contrairement aux fractures qui apparaissent immédiatement en réaction à l’impact, les symptômes de noircissement interne apparaissent progressivement au fur et à mesure du déroulement de la réaction biochimique qui est généralement accélérée par une température élevée après le choc.
Le développement du noircissement peut parfois être limité par la concentration en substances phénoliques mais est le plus souvent lié à l’importance des lésions membranaires. Les taches apparaissent généralement un à quelques jours après que ce soient produites les lésions, c’est pourquoi des lots de pommes de terre apparemment indemnes lors de l’arrachage peuvent développer des symptômes après plusieurs jours de conservation. La même déconvenue peut également apparaitre pour le destinataire d’un lot après conditionnement.
Diagnostic rapide des symptômes
Lorsqu’on craint des risques de noircissement interne sur certains lots, il est grandement conseillé de pratiquer un diagnostic rapide par étuvage d’échantillons représentatifs ayant subi le procédé traumatisant (arrachage, conditionnement etc.).
Pour ce faire, les échantillons doivent être placés dans une armoire-étuve dans laquelle l’humidité est maintenue à saturation (HR = 100 %) et la température régulée entre 25 et 30 °C. Plusieurs fournisseurs sont susceptibles de procurer ce type d’équipement.
Après 12 heures de maintien des tubercules dans ces conditions, contribuant à accélérer la réaction biochimique entrainant la pigmentation, il suffit d’éplucher lesdits tubercules pour observer la présence ou l’absence de taches cendrées sous épidermiques dans la chair.
Facteurs de risque
La sensibilité naturelle des tubercules est liée à la variété, mais cette sensibilité est partiellement en rapport avec la teneur en matière sèche des tubercules. Plus celle-ci est élevée, plus ils sont sensibles. Le noircissement interne affecte d’ailleurs principalement les pommes de terre destinées à la transformation dont la teneur en matière sèche est généralement supérieure à 21-22 %. Toutefois, cette relation n’est pas parfaite et d’autres facteurs comme la taille et la localisation des cellules ou la distribution de la matière sèche dans les tubercules peuvent interférer. Les tubercules à cellules de grande taille sont plus sensibles que ceux à petites cellules. Enfin, les variétés à tendance piriforme peuvent se montrer plus sensibles sur la zone pointue du talon (énergie moins bien répartie lors d’un choc).
Diverses études montrent que le noircissement interne diminue avec la teneur en potassium des tubercules et que la sensibilité devient très faible lorsque celle-ci dépasse 2,5 g/100 g de matière sèche. Généralement, les pommes de terre provenant d’un sol bien pourvu en potassium sont moins sensibles que celles ayant été cultivées en sol pauvre ou carencé. De même, l’apport de doses élevées d’engrais potassiques joue un rôle important dans la résistance des tubercules aux endommagements. L’effet bénéfique du potassium peut s’expliquer par le fait que les doses élevées occasionnent une diminution de la teneur en tyrosine et de l’activité de la tyrosinase, ainsi qu’une baisse de la teneur en matière sèche. Il est aussi possible que le potassium ait un effet direct sur les propriétés mécaniques des parois cellulaires.
Le manque de turgescence des tubercules est également un facteur qui prédispose au noircissement interne, mais pas toujours une condition indispensable dans la mesure où des tubercules bien hydratés peuvent présenter des lésions. Il a toutefois été montré qu’une mauvaise alimentation en eau ou une forte transpiration en cours de végétation augmentent la sensibilité des tubercules. Cela peut être le cas si les buttes ont été maintenues dans des conditions de sécheresse intense après défanage. Les cellules à faible turgescence se déforment de façon plus importante, pour une force donnée, de telle sorte qu’elles atteignent plus facilement le point de déformation critique à partir duquel les membranes cellulaires sont endommagées par les grains d’amidon.
Les basses températures du tubercule à la récolte mais surtout à la reprise de stockage sont une cause extrêmement importante de sensibilisation au noircissement interne. Ainsi, en conditions expérimentales, on a observé qu’entre 21 °C et 3 °C, la proportion de tubercules atteints pouvait être multipliée par dix pour des impacts similaires.
Les chocs peuvent intervenir tout au long de la chaîne de récolte et de conditionnement lors des chutes et des projections sur des matériaux durs, qui provoquent l’écrasement du parenchyme cortical des tubercules et l’endommagement des cellules. L’importance des lésions produites est en relation directe avec les hauteurs de chute et le poids des tubercules. Un effet comparable est observé en conservation sur les tubercules de la base du tas quand la pression exercée est très forte et prolongée. De même, des déshydratations localisées au niveau des zones de contact entre les tubercules (facettes ou faces planes) peuvent induire l’apparition de symptômes de noircissement interne après le déstockage lors du réchauffement des pommes de terre. Ces problèmes sont principalement liés à une mauvaise maîtrise de la ventilation (durée et caractéristique de l’air ventilé)
Moyens de lutte
On peut prévenir l’apparition du noircissement interne :
- en maintenant les réserves potassiques du sol à un niveau élevé ;
- en contrôlant et en stoppant, si nécessaire, l’accumulation de matière sèche dans les tubercules par une destruction précoce des fanes ;
- en irriguant régulièrement mais sans excès en s’appuyant sur un outil de pilotage (type Irrinov® ou Irré-LIS® par exemple). Il est important de favoriser la meilleure hydratation possible des tubercules. Dans les situations pour lesquelles on observe une pluviosité faible associée à de fortes températures en fin de cycle après la dernière irrigation, l’apport d’eau dans les jours précédant ou suivant le défanage peut s’avérer bénéfique. Par ailleurs, si les buttes sont sèches au moment de la récolte, il est fortement conseillé de réaliser un apport d’eau complémentaire pour faciliter l’arrachage et limiter le risque d’endommagement des tubercules lié à la présence de mottes dures ou d’une quantité insuffisante de terre « souple » sur les chaînes de tamisage ;
- en limitant la déshydratation des tubercules au cours du stockage par une ventilation maximisant l’hygrométrie en s’appuyant au besoin sur des équipements d’humidification d’air adaptés ;
- en manipulant les tubercules le moins souvent possible et avec précaution (chutes inférieures à 30 cm), à une température d’au moins 12-15 °C si les tubercules présentent une grande sensibilité. Le réchauffage des pommes de terre industrielles (sensibles le plus souvent) est indispensable avant le déstockage si la transformation n’est pas réalisée dans les heures qui suivent cette opération. La brumisation d’eau sur les tubercules, lors du chargement pour transport, peut également s’avérer efficace sur des lots très sensibles (variétés « chips ») en retardant l’apparition des symptômes. On explique cet effet par le ralentissement des échanges gazeux tubercule/air assuré par le film d’eau ;
- en entreposant les pommes de terre sur une hauteur ne dépassant pas 4 mètres en tas vrac.